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MUHAMMED BEN L-'ARBI TEMSAMANI
1920-2001


Né à Tanger en 1920, il grandit au sein d'une famille éprise de al-Ála (musique arabo-andalouse). Son père était un passionné de la poésie andalouse. Ce milieu artistico-littéraire va jouer un rôle déterminant dans la formation de notre musicien. Dès son jeune âge, Muhammed Ben l-'Arbí Temsamání aura un penchant pour la musique, le chant et les instruments. A huit ans, son premier instrument fut la flûte (zmmára). Après il apprendra à jouer du luth et du piano qui était à la mode dans les familles bourgeoises et constituait une manière de s'approcher de l'Occident, détenteur des sciences et du savoir. Plus tard, il s'intéressera pour un instrument à archet qui avait pris un grand intérêt au sein des formations traditionnelles: l'alto.

Comme tout musicien traditionnel, l'apprentissage de Temsamání est passé par les méthodes qui consistent à puiser directement dans la source des maîtres selon le processus classique de la transmission orale. La maison de Múláy Ahmad al-Wazzání, grand maître de Tanger, était ouverte à tous les musiciens et jouait le rôle d'une madrassa ou école de musique. Les churfá-s (descendants du Prophète) de Wazzán constituaient à Tanger dár d-Dmána (maison de protection) où les gens pouvaient se réfugier en cas de litige avec les autorités dans une ville de Tanger-internationale gouvernée par plus de neuf pays. Tous les Vendredis, les musiciens se réunissaient chez Múláy Ahmad afin d'interpréter des mízán-s (phases rythmiques) entiers de al-Ála. L'autre source d'apprentissage de Temsamání est formée par les maîtres les plus prestigieux de l'école tangéroise comme: l-'Arbí s-Siyyár, Ahmed sh-Shága, les oncles de Temsamání ('Abd s-Slám et Ahmed Usidhum)… Tout ce bagage récolté de sources diverses n'aura une assise solide, selon le propre témoignage de Temsamání, qu'avec l'arrivée de Muláy Ahmad Loukílí en 1936, maître incontesté de cet art. Dès leur première rencontre, ils noueront une amitié qui résistera à plusieurs décennies et ne connaîtra sa fin qu'avec la mort de Lúkílí en 1989. Jusqu'à nos jours, et chaque fois que nous avons l'occasion de nous réunir avec maître Temsamání, il ne peut s'empêcher de nous rappeler que Múláy Ahmad Loukílí représente la grande révélation de notre siècle en ce qui concerne l'art musical arabo-andalou. Par ailleurs, Temsamání est allé plusieurs fois à Fès, Casablanca, Rabat et Essaouira afin d'apprendre des san'a-s directement de la bouche des grands maîtres comme : Muhammed l-Bríhí, Muhammed l-Mtírí, al-Azraq, 'Umar J'áydí etc...

En 1940 il fonde avec Loukílí l'association "Ikhwán al-Fann" (Frères de l'Art). Cette association créée à partir d'une élite de musiciens de Tanger, avait pris comme siège la propre maison de Loukílí dans le cartier de al-qsba. Rappelons quelques noms appartenant à cette association: Ahmed Ráys, A. Rkaïna, Mohamed Ben Abdel s-Sádak, Akhamlich, Tayeb Ben L'arbí, 'Abd-slám Ben 'Abd l-Láh etc...

En 1956, Temsamání va être nommé directeur du conservatoire de musique de Tétouan, grâce au concours de son ami, grande figure patriotique du Nord du Maroc, Abdelkhálaq Torres. Le conservatoire constituera pour lui un espace fertile de travail qui lui facilitera la matérialisation de ses idées à la tête de l'orchestre qui appartient à cette institution étatique. Sans renoncer aux méthodes traditionnelles d'enseignement, Maître Temsamání, s'ouvrira sur les systèmes occidentaux et cherchera à imposer le solfège comme discipline nécessaire dans la formation du futur musicien traditionnel. Parmi ses innovations, nous pouvons mettre l'accent sur l'introduction de divers types d'instruments occidentaux tempérés comme la clarinette, le hautbois, le saxophone et le piano et des instruments à archet comme le violoncelle et la contrebasse. Par ailleurs, il va garder les instruments traditionnels de base tels le 'úd (luth), le rbáb, la drbúga et le tár. Le fait que des professeurs espagnols de musique continuaient d'enseigner au conservatoire, même après l'indépendance du Maroc en 1956, lui permettra d'acquérir quelques éléments de base de la théorie musicale occidentale. Cette tendance influencera sa démarche dans l'analyse compliquée du système des modes et l'induira à corriger beaucoup de phrases qui lui paraissaient en désaccord avec l'échelle musicale ou la structure de la núba. A son arrivée à Tétouan, le conservatoire disposait d'un orchestre de musique al-Ála sous la direction de maître 'Ayyáshí l-Uráglí. Le père franciscain Patrocinio García Barriuso, musicien et chercheur espagnol et membre important du congrès de Fès organisé sous les auspices du service des arts indigènes français en 1939, insiste sur l'existence d'un style très net qui distingue l'école de Tétouan de celle de Fès. Nous avons vu que Temsamání le tangérois, a acquis l'essentiel de sa formation auprès de Loukílí, qui est un brillant ressortissant de l'école de Fès. En prenant la direction de l'orchestre du conservatoire, Temsamání reconnaît avoir trouvé des difficultés à suivre le style de l'école tétouanaise. La solution qu'il choisit pour s'intégrer avec l'esprit de cet ensemble, était de convaincre les musiciens à se soumettre au style de l'école de Fès en leur laissant toutefois quelques empreintes de la particularité nordique. Un phénomène d'uniformisation de al-Ála va gagner presque tout le territoire marocain par l'intermédiaire de plusieurs maîtres de Fès qui vont voyager à Tanger, Tétouan, Rabat, Marrakech, Casablanca, etc...
Nous déplorons cette démarche qui a effacée en partie les spécificités du style propre à chacune de ces régions. Par contre, cette démarche va contribuer à approcher les différents répertoires et permettre aux musiciens appartenant à des régions différentes de jouer ensembles quelle que soit leur source d'apprentissage.

Les musiciens avec qui il forme son orchestre étaient presque tous des enseignants au conservatoire : Piano, M. Temsamání/ Violon, 'Abd s-Sádaq Shqára, Mohammed Hayyoun, l-Gálí l-Harráq (actuel guide de la confrérie l-Harráqiyya de Tétouan)/Altos, l-Brd'í, Ahmed Chentouf/ Violoncelle, Muhammed Ben 'Ayyád/ 'Úd, Mojtar Mfarrey, s-Sálhí et quelques fois 'Abd l-Láh Shqára/ R'báb, l-'Arbi l-'Gazi et plus tard Jawtam/ Clarinette, l-'Issáwí et plus tard Ahmed l-Mrábet/ Saxophone : Qrrich/ Drbúga, Mustafa l-'Hawzi/ Tár, Jawtam et plutard 'Abd l-'Ziz l-'Harráq/ Voix solistes : 'Abd s-Sádaq Shqára, Ahmed Hrázm et Zohra Bttíwa.

Voici quelques caractéristiques du style Temsamanien :
- Précision dans l'exécution des phrases musicales par l'ensemble de l'orchestre.
- Intégration des fioritures (zwáq) dans le squelette de la san'a et systématisation de son exécution.
- Supplantation du rôle du rbáb dans la direction de l'orchestre et celui du 'úd dans ses multiples improvisations par le piano.
- Innovations dans l'exécution vocale en pratiquant le chant responsorial, l'antifonie et le dialogue. Participation active de l'élément féminin avec la voix de Bttíwa et la chorale des élèves du conservatoire.
- Plus grande richesse dans l'instrumentation.
- Toujours dans un esprit d'approchement à l'Occident, il participe dans quelques essais d'harmonisation de cette musique à l'instar de ses prédécesseurs orientalistes comme A. Chottin, A. Bustello, P. Garcia Barriuso…
·- Réorganisation des airs de la Msháliyya l-Kbíra qui a fait l'objet d'un concours en 1960.


Parmi ses activités :

  • Participation à l'enregistrement des huit núba-s entrepris par l'UNESCO en collaboration avec l'association des amateurs de la musique andalouse présidée par Dris Benjelloun Touímí en 1962. Nous regrettons la monopolisation de cet enregistrement par la famille de feu Touímí qui vit à Casablanca et qui prétend l'avoir perdu. Quant à la copie qui est sensée être à l'abri de toute manipulation dans les archives du ministère des affaires culturelles, plus aucune trace d'elle !
  • L'enregistrement d'un grand nombre de mízán-s (phases rythmiques) au sein de la Radio Nationale du Maroc dans les années soixante.
  • Il introduit l'ouvrage de Younes Chami dédié à la transcription de Núba Rasd d-Dayl entreprise avec maître t-Tazí l-Bzúr.
  • Il participe au congrès de Fès de 1969 au sein de la commission chargée de l'étude théorique de la núba avec d'autres chercheurs venus de tout le monde arabe.
  • Participation fréquente aux festivals de musique andalouse de Fès, Chefchaouen...
  • Représentation du Maroc dans plusieurs pays étrangers comme, l'Espagne, la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Angleterre (1976), la Russie, le Sultanat de Oman, le Katar, la Jordanie, l'Algérie, la Tunisie, le Sénégal, le Niger...
  • Musique andalouse pour illustrer un long métrage en 1975.
  • Enregistrement de deux núba-s : Raml l-Máya (9h) et Isbihán (6h) dans l'Anthologie Al Ála. Ce travail a été réalisé sous l'égide du "ministère Des Affaires Culturelles " (Maroc) en collaboration avec la "maison Des Cultures Du Monde " (France) entre 1990 et 1992.
  • Obtient trois Wissám 'Alaoui (médailles d'honneur)
  • Il sera reçu et décoré par le président de Tunisie Mohamed Bourguiba en 1972 et le Roi de Jordanie en 1976.

Muhammed Ben l-'Arbi Temsamani nous a quitté, le 6 janvier 2001. Sa famille voulait qu'il soit enterré à Tanger, sa ville natale, mais Sîdî l-Gâlî l-Harrâq, cheikh de la confrérie l-Harrâqiyya de Tétouan, a insisté pour que le maître repose dans la zâwya, aux côtés de ses ancêtres et de 'Abd s-Sâdaq Shqâra, son disciple.

Cet homme attachant était un passionné de la musique arabo-andalouse. Il n'a pas hésité à vendre les biens hérités après la mort de son père, ancien juge à Tanger, pour satisfaire sa passion et aider les musiciens. Sa renommée a éclos dès son plus jeune âge et elle s'est confirmée au fil des ans, grâce à sa maîtrise du piano alliée à une grande capacité d'improvisation. Il a maintes fois subjugué le public en exécutant des morceaux de bravoure.

Temsamani était un maître affable et généreux qui a su séduire toutes les couches sociales. C'est pourquoi son décès a été ressenti comme une grande perte par les classes populaires, les intellectuels, les notables et le chef de l'Etat. S.M. le Roi Mohammed VI a fait parvenir à la famille du défunt un télégramme émouvant.

" Son sens de l'amitié était fort apprécié de tous ceux qui le côtoyaient, à commencer par ses collègues au sein de l'orchestre de Tétouan. Son oeuvre est là. Elle constitue le meilleur témoignage de sa conttribution à l'histoirte du Maroc, de sa créativité et d'une versatilité innovatrice qui combattait l'immobilisme et introduisait de l'air frais pour faciliter l'épanouissement d'un art immortel -celui de la musique andalouse. " a affirmé Mahdi El Mandjra, l'un des plus brillants intellectuels de notre pays.

Sur le plan musical, Temsamani a marqué toute une génération. Grâce à son charisme, il est arrivé à nous transmettre l'héritage de al-Andalous. Il a laissé un grand nombre de témoignages sonores à la Radio Télévision Marocaine ainsi que deux nûba, Raml l-Mâya et Isbihân, qui font partie de l' Anthologie Al Âla. Ses enregistrements assureront, à coup sûr, sa postérité.

Omar Metioui