Lotfi AKALAY

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Lotfi AKALAY


No women’s land


Si être féministe c’est défendre l’extension du droit des femmes, alors je le suis mais je n’en tire aucune gloire parce qu’on ne m’a pas laissé le choix. Comment aurais-je pu faire autrement ? Très tôt, je me suis rendu à l’évidence : à quoi bon défendre les droits de l’homme dans une société où l’homme a tous les droits ? Reste les femmes. Et c’est ainsi qu’en procédant par élimination, je suis tout naturellement devenu féministe, et du même coup une cible de choix pour les plus obscurantistes des obscurantistes, je veux dire les illuminés.
Les photons ont de quoi y perdre leur arabe. On l’a sans doute remarqué, l’essor du féminisme est inversement proportionnel au taux d’analphabétisme, et c’est ce qui explique la place peu enviable occupée par la femme dans notre pays où le gouffre de l’ignorance atteint des sommets vertigineux. La misogynie ambiante serait alors le point d’intersection de l’alpinisme et de la spéléologie, le meilleur exemple étant l’Arabie saoudite dont la richesse naturelle du sous-sol n’a d’égal que la misère culturelle du rez-de-chaussée.
Faut-il le rappeler, ce qui frappe le plus chez une femme, c’est le mari, aussi je me réjouis de voir les terrasses de nos cafés occupées presque en exclusivité par les hommes, car aussi longtemps qu’ils restent attablés dans ces no women’s land, leurs épouses sont souveraines dans leur espace domestique. J’en déduis que plus il y aura de cafés, plus les femmes seront libres, et plus sûrement sera engagée la marche vers la révolution féministe.
Mais je n’irai pas jusqu’à souhaiter la prise du pouvoir par les femmes, ce serait la porte ouverte à une dictature des belles-mères sur les brus, et des bâchées sur les décapotables. Tant que l’issue des élections sera perçue comme la domination d’une majorité écrasante sur une minorité écrasée, il serait plus prudent de renvoyer la démocratie à des jours meilleurs.
Moi féministe ? certainement, tout en restant modérément extrémiste car l’histoire nous enseigne que c’est quand elle échoue qu’une révolution laisse de bons souvenirs. C’est pourquoi j’opte résolument pour le réformisme. Un exemple suffit. Les barbus des deux sexes nous répètent à satiété que : primo, la femme est l’égale de l’homme ; secundo, la polygamie est un droit pour l’homme. Soit. Qu’avons-nous besoin de singer l’Occident impie ? Plutôt que de tirer cette parité vers le bas en interdisant à l’homme ce droit et en le contraignant à n’épouser qu’une seule femme (je suis contre les interdictions et les contraintes quel que soit le sexe, j’avais oublié de le signaler), pourquoi ne pas accorder à la femme le droit d’avoir plusieurs maris ? quatre, pas plus, n’exagérons rien. On m’objectera : et la paternité ? aucun problème, il suffirait d’incorporer dans le livret de famille l’ADN de chacun des maris, et le tour est joué. Du coup les enfants disposeront à demeure de quatre baby-sitters et les femmes pourront travailler et gagner leur autonomie financière. Gageons que les plus douées en affaires se feront des ovaires en or. Les terrasses de cafés seront envahies de femmes qui reluqueront la croupe des passants effarouchés.
Soyons équitables, ce n’est pas parce que l’homme dispose d’un passe-partout prêt à ouvrir en toute légalité quatre serrures qu’il doit faire son méat culpa. Qu’il dispose à sa guise de quatre poules, grand bien lui fasse, mais qu’on n’exige pas de la femme d’être monocoq à voile au risque de naviguer dans l’iniquité de Tanger à Lagouira.

(2 février 2005).