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AL BOUGHAZ

SEMINAIRE 2003

"LE PATRIMOINE ARCHITECTURAL DE TANGER"
Organisé par l'Association AL BOUGHAZ

En collaboration avec l'INSTITUT FRANÇAIS DE TANGER-TETOUAN

POURQUOI LA KASBAH DE TANGER ?


Mohamed HABIBI
Archéologue - Conservateur du Musée de la Qasbah


Cette communication est issue d'une proposition de projet que j'avais fait à un représentant du groupe ONA il y a quelques mois. L'ampleur des investissements du groupe dans les régions du nord du Maroc a abouti à son engagement à l'élaboration d'un programme d'action de mécénat culturel. Plusieurs séances de travail ont eu lieu au Musée de la Kasbah, des axes de réflexion ont été relevés. Je souhaite de voir un jour ce rêve réalisé. Le temps qui m'est consacré ne me permet pas d'entrer dans les détails du projet... mais j'essayerai d'y tracer les grandes lignes.

Espace spécifique et homogène

La Kasbah est un espace spécifique dans la médina de Tanger. C'est une citadelle fortifiée qui, par sa situation dans la partie haute de la médina, domine le détroit de Gibraltar au Nord, le port et la baie à l'est et toute la ville de Tanger au sud. C'est un réduit de défense à l'intérieur de la ville ancienne avec sa propre muraille l'enserre, ses borj, ses tours, ses portes, ce qui lui donne l'identité d'une cité. La kasbah de Tanger est à l'image de ce que fut l'acropole dans les villes de la Grèce antique.

La Kasbah c'est aussi un espace homogène par le caractère de ses édifices publics et privé. Il englobe un ensemble de monuments historiques et artistiques de premier ordre qui confèrent au quartier de la kasbah un cachet original qui le distingue du reste de la médina de Tanger. C'est l'ancien quartier administratif de la ville, le centre du pouvoir civil et militaire. Le quartier de la kasbah est chargé d'histoire. C'est un Héritage culturel multimillénaire. II porte son histoire inscrite dans le dessin de ses palais, de ses maisons, de sa muraille, de ses places et de ses rues. L'usure du temps, les guerres, le renouvellement des goûts et des techniques ont laissé subsister dans ce quartier un ensemble de monuments d'une richesses exceptionnelle, caractéristiques de plusieurs époques historiques depuis la Haute antiquité jusqu'à nos jours - exemple des remparts - et pour ne citer qu'à titre d'exemple : Le Palais des Sultans (actuel Musée de la Kasbah) le plus prestigieux monument publique de la ville construite à la fin du XVII siècle, le Méchouar, la mosquée avec son minaret octogonal, l'ancien tribunal, l'ancienne prison, le Bit EI Mal (la trésorerie) le Borj Naâm, Borj Ben Amar, la place de la Kasbah, les marabouts et les zaouias, les rues et le caractère préservé de nombre d'habitations... font de ce quartier un gisement culturel et artistique d'une grande valeur et un espace de découverte de soi et de l'autre... qui contribue fortement à renforcer la conscience d'une histoire plurielle constituée d'apports successifs.

Cependant, le patrimoine n'est pas seulement un ensemble de bâtiments et de monuments historiques mais concerne aussi les aspects symboliques, identitaires et affectifs. Une place, une vue panoramique ou même un terrain vide peur avoir une valeur symbolique très élevée. La Kasbah de Tanger nous permet de découvrir des vues qui se portent sur le détroit et sur le reste de la ville et les environs. Tout ces panoramas qui s'offrent à nous recèlent une forte charge symbolique et ne peut nous laisser indifférent envers certains repères relatifs aux origines même de la fondation de Tanger. Comme nous l'avons constaté hier lors de la promenade dans la médina, de la porte de Bab AI Assa, une des portes du quartier de la Kasbah, nous avons la colline de Charf en face. Or cette colline, d'après un texte de Plutarque (auteur romain du premier siècle avant J.C.) est considérée par les tangérois de l'époque comme le tombeau du géant mythologique Antée. Tingis ville jadis fondé par Antée nous dit Pline l'Ancien un autre romain du début du 1er siècle après. De la porte Bab EI Bhar, nous contemplons la vue sur le détroit et plus loin à l'est se dressent les deux colonnes d'Hercules, deux montagnes (Jbel Moussa et Gibraltar) ces deux repères géographiques pour les anciens voyageurs et qui leur annoncent la sortie vers l'océan atlantique. Ces repères géographiques, la colline de Charf et les deux montagnes (les colonnes d'Hercules) nous rappellent la légende d'Héraclès venu du pays au couchant cueillir les pommes d'or du jardin des Hespérides, il fut contraint de lutter contre Antée, ce géant qui tirait sa force de la terre (lui qui est le fils de Gaïa la déesse Terre). Ce rapport entre la géographie locale et la mythologie prouve que Tanger depuis la plus haute antiquité a nourri l'imaginaire des peuples grecs et romains, et a continué à engendrer à chaque époque un mythe et ce jusqu'à nos jours.

Cette forte dimension symbolique du site doit être exploité aussi pour permettre à la cité de renouer avec ses origines et se faisant de définir son identité.

La Kasbah c'est aussi un lieu d'inspiration artistique exceptionnel, elle a toujours exercé une fascination irrésistible sur les artistes. Des peintres universellement connus : Delacroix, Matisse, Tapiro, Fortuni, Camoin, Ernst, Dufy et les autres ... ont trouvé dans Tanger et dans la Kasbah en particulier un véritable ressourcement de leur art. L'artiste Rbati considéré comme étant le premier artiste marocain de chevalet, a habité le quartier (nous sommes passés hier devant sa maison qui tombe en ruine...). II nous a laissé des oeuvres remarquables illustrant des scènes de vie quotidienne dans la Kasbah (le pacha...).

La Kasbah c'est aussi un espace d'une dynamique sociale par sa capacité d'accueil et de logement de citadins pauvres en général issus de l'exode rural parfois, mais par son caractère de mixité économique et social, et espace contribue à l'intégration de ses populations et leur donne un " accès à la citadinité ".

Quelle action pour la Kasbah de Tanger ?

Une action qui se développerait sur trois axes indissociables dans leur complémentarité et leur cohérence.

Le premier axe consiste à renforcer la confiance des acteurs de la Kasbah dans leur volonté de conduire un projet global de valorisation et de développement de leur quartier.

Nous ne pouvons pas envisager un projet de valorisation et de protection de la Médina en général sans les habitants qui y vivent.

On a tendance à rendre les nouveaux habitants de la médina responsables de la dégradation que connais le patrimoine de cette dernière, pourtant, il faut le reconnaître, c'est grâce à eux que ce patrimoine, bien que dégradé, est resté vivant bien des décennies après le départ de sa population d'origine qui l'a déserté pour s'installer dans les immeubles ou les villas de la ville moderne dans les années 50 et 60. Certains vont jusqu'à souhaiter, comme solution, de voir la médina vidée dépeuplée de ses habitants et remplacer ceux-ci par des étrangers au point d'en faire un ghetto de milliardaire en mal de dépaysement venant quelques jours par an se bronzer au bord de la piscine construite sur le toit de leur maison sans se soucier des dégâts provoqués par le déversement de l'eau dans des canalisations qui ne résistent pas à leur mode de vie.

La dimension sociale est souvent absente des projets dit de restauration ou de valorisation du patrimoine de la Médina, projets qui visent certains monuments choisis ici et là et qui deviennent des opérations de prestige contribuant encore plus à l'exclusion et à la marginalisation de la population locale. II faut faire de la valorisation du patrimoine une action de valorisation des conditions de vie, d'habitat, d'activité économique, culturelle, d'environnement, …etc. Au delà de la protection de la pierre, de sa restauration et de la réhabilitation de l'espace... Il faut réhabiliter un droit à la ville une dignité et valoriser l'attachement et l'identification des habitants à leur espace résidentiel. Au fait c'est la continuité de l'homme qu'il s'agit de préserver à travers cette de la pierre.

Les acteurs de la Kasbah sont divers : les habitants qui à travers l'association du quartier entendent à la fois faire prendre en compte des revendications d'amélioration de leur cadre de vie et de leur sécurité, mais aussi conduire des initiatives d'alphabétisation, d'accompagnement scolaire des enfants d'encadrement de loisirs, de formation professionnelle ou d'activités nouvelles, ateliers d'informatique pour des adolescents parfois guettés par la marginalisation ou des ateliers de couture pour les femmes voulant abonder les revenus familiaux... Le Musée de la Kasbah peut être un lieu d'animation permanent et contribuer avec la population environnante à la valorisation du quartier.

Le deuxième axe concerne la revalorisation du patrimoine architectural de la Kasbah. Cette action renforcera son attractivité touristique et offrira aussi un cadre de grande qualité à des évènements rétablissant et amplifiant, au plan national et international la renommée culturelle de Tanger.

Plusieurs projets sont évoqués :

  • Une actions destinée à mettre en valeur la place du Mechouar (place de la Kasbah), restauration de son pavement d'origine constitué de galets, blanchissement des différents bâtiments, restauration des bâtiments de la trésorerie et du tribunal en réouvrant leur façades, éclairage basse tension des murailles, rénovation de bâtiments de l'ancienne prison en leur donnant une affectation culturelle comme Musée du grand voyageur Ibn Batouta et espace de grande exposition... le thème d'une exposition des peintres orientalistes est à l'étude actuellement, aménagement des jardins et terrasses. Amélioration du blanchissement des façades du quartier, réalisation de plantations, amélioration de l'éclairage des rues (une étude a déjà été réalisée concernant l'éclairage du quartier) enterrement des lignes électriques, rénovation des fontaines (l'association AI Boughaz peut se joindre... sur ce volet).
  • Etablissement d'une signalétique offrant des informations historiques et culturelles sur la Kasbah : des fiches signalétiques des bâtiments et monuments les plus importants, parcours artistiques, un parcours Matisse, Delacroix, Tapiro...

Le troisième axe se veut effort de communication et de promotion relative aux ressources culturelles et touristiques de la Kasbah :

  • Organisation de promenades nocturnes et lancement de visites conférences permettant de découvrir la Kasbah, son histoire, ses édifices, les jardins et le palais du sultan, les lieux et les monuments rendus célèbres par la création des artistes... D'autres évènements révéleraient d'une programmation spécifique.
  • Organisation de spectacles (son et lumière), de concerts, de festivals... susceptibles de devenir des rendez-vous de référence pour des amateurs.
  • Création d'un site Internet présentant la Kasbah, les itinéraires de sa découverte, la programmation des animations et les évènements qui s'y déroulent, les oeuvres évoquant le quartier.

Ces actions appelleraient à une coopération de différentes administrations ou collectivité locale et de plusieurs partenaires publiques et privés. Les différents avantages économiques et sociaux ressortissant de l'investissement sur le patrimoine de la Kasbah sont évidents. Tanger sera ainsi doté d'un Haut lieu de la culture d'art et de création. D'un centre historique attractif qui recèle une forte charge symbolique identitaire et affective. Au moment ou le Maroc lance un défi de 10 millions de touristes en l'an 2010.