|
AL
BOUGHAZ
SEMINAIRE
2003
"LE PATRIMOINE ARCHITECTURAL DE TANGER"
Organisé par l'Association AL BOUGHAZ
En collaboration avec l'INSTITUT FRANÇAIS DE TANGER-TETOUAN
LES
SPÉCIFICITÉS DE TANGER
|

Larbi GUENNOUN
Conseil juridique et fiscal Rabat
|
Je tiens
tout d'abord à adresser mes vifs remerciements aux
organisateurs de ce colloque et principalement à l'Association
Al Boughaz pour m'avoir invité à participer
à cette rencontre.
Depuis une décade, nous constatons la floraison de
plusieurs associations de la société civile.
Certaines d'entre elles redoublent d'efforts avec d'autres
organismes officiels ou privés, pour mener à
bonne fin des opérations d'ordre social, culturel,
économique, historique ou musical....
Certains événements déterminants ont
fait de Tanger depuis la deuxième moitié du
18ème siècle un acteur principal dans plusieurs
domaines. Les rôles joués par la ville du Détroit
ont créé une dynamique qui a généré
des spécificités qui lui sont propres.
C'est dans ce cadre, me semble-t-il, que se tiennent ces assises
pour discuter d'un patrimoine mondial, celui d'une ville qui
nous est chère à nous Tangérois, marocains
ou étrangers.
Ma contribution va se limiter aux spécificités
dans les domaines diplomatiques maritimes et commerciaux.
1/ TANGER CAPITALE
DIPLOMATIQUE
La seconde
moitié du règne du Sidi Mohammed Ben Abdellah
(1757-1780) a été marquée par une situation
sociale, économique et surtout financière très
critique, dont les origines remonteraient entre autre, à
la bataille de Wad Al Makhazine (bataille des trois rois).
Le Maroc a adopté, depuis lors, une stratégie
de repliement sur lui-même qui s'avéra, à
long terme, être une politique préjudiciable
à son émancipation et à son économie.
Mohammed II jugea, malgré quelques réticences,
qu'il était nécessaire de repenser les rapports
entre le Maroc et les puissances européennes, et apprécia,
vu son expérience dans le domaine des relations avec
l'étranger, les grands avantages que tirerait le pays
des échanges commerciaux.
Pour réussir sa politique, il décida de regrouper
l'ensemble des consuls dans une même ville. Les contacts
avec ces représentants seraient plus aisés et
plus rapides et rendraient plus efficace la politique de réhabilitation
du pays.
Rien ne s'opposa donc, à s'ouvrir sur l'extérieur
et à abandonner l'isolement qu'a connu le pays. La
politique étrangère du Maroc changea radicalement
non seulement vis-à-vis de l'Europe, mais également
vis-à-vis de l'Empire Ottoman.
Il a fallu donc l'expérience d'un Sultan clairvoyant,
pragmatique qui a signé plus de 30 traités avec
les puissances européennes pour renouer avec le monde
extérieur et renforcer les échanges commerciaux
et en faire profiter le pays, tout en sauvegardant, le principal
du monopole des exportations.
Le choix de Tanger
La question
se pose de savoir pourquoi Mohammed II a porté son
choix sur la ville de Tanger et non pas sur la capitale du
Royaume ou sur Tétouan, Rabat, Salé, Safi où
résidaient déjà les consuls ou sur Essaouira
qu'il a fait construire pour être le port de Marrakech.
II y a lieu, tout d'abord, de rappeler que les marocains gardaient
encore vivace dans leurs mémoires, l'occupation par
les européens de leurs villes côtières.
Les marocains voyaient d'un mauvais oeil la réinstallation
d'étrangers sur les côtes et admettaient encore
moins leur pénétration à l'intérieur
du pays.
Pour réaliser cette politique il fallait donc opter
pour une ville qui réunirait les conditions pour réaliser
ce changement.
Port proche de l'Europe (communications terrestres et maritimes
faciles), existence d'une colonie étrangère
(cohabitation des habitants de toutes confessions et nationalités),
enfin et surtout une situation stratégique.
La ville du Détroit semble réunir tous ces atouts.
Tanger était donc considérée, à
juste titre, comme l'endroit le plus approprié pour
y installer la représentation diplomatique dans le
pays. Ce choix aura des conséquences sur le devenir
de cette ville qui se distinguera par rapport aux autres villes
du royaume.
Pour réussir cette mutation profonde, la diplomatie
marocaine s'activa pour convaincre les représentants
des puissances étrangères à Tanger.
A ce sujet le Maroc a dû acheter des résidences
et en fit cadeau à certains Etats (cas de la Suède
et de la France, des Etats-Unis, des Pays-Bas) ou avancer
l'argent nécessaire à la construction de la
résidence d'un consul (cas du Portugal). En outre,
il a facilité la construction des lieux de culte pour
les non-musulmans, en procédant à des échanges
d'immeubles (cas de la synagogue de la Rue Siaghine cité
par Mme MiLLER).
A la mort de Mohammed II, tous les représentants européens
accrédités au Maroc résidaient officiellement
à Tanger, exception faite du représentant français
qui se maintenait à Rabat et les autorités marocaines
ne semblent pas avoir fait la moindre obligation à
ce représentant pour qu'il s'installe à Tanger
mais la France républicaine décida de transférer
sa représentation à Tanger en 1795.
En effet, par une lettre datée du 15 décembre
1795, Talleyrand, Ministre français des affaires étrangères,
invite son représentant à Salé "à
se transporter à Tanger, qui présenterait beaucoup
plus de facilités pour nos opérations politiques
et commerciales" et que "l'observation de Gibraltar
exige une plus grande surveillance" et ce n'est que le
22 octobre 1796 qu'est arboré, sur le consulat général
de Tanger, le drapeau tricolore.
II est à souligner que les représentants européens
ne remplissaient pas seulement les fonctions de consuls mais
surtout celles des chargés d'affaires. Le diplomatique
prenait le pas sur le consulaire.
A ce propos, le consul de France était mandaté
par Napoléon pour négocier avec Moulay Slimane
un blocus contre l'Angleterre (le Maroc adoptait une position
neutre vis-à-vis du conflit entre la France et le Royaume
Uni). Par ailleurs, le même représentant était
habilité à signer des traités avec le
Makhzen. D'autre part, le Sultan informait généralement
les consuls de ces décisions.
Lors du siège de Gibraltar par les armées espagnole
et française, le sultan expulsa le consul britannique
et les motifs de cette expulsion ont été communiqués
aux autres représentants des Etats accrédités.
Lors de la crise entre la Russie et la Norvège, le
souverain marocain communiqua au corps consulaire une déclaration
condamnant l'alliance Russo-Danoise. Le Danemark s'était
rallié à la cause Russe.
Dans le domaine commercial, le Sultan adressa au même
corps un projet relatif aux échanges commerciaux.
Bien après la mort de Mohammed II, ses successeurs
créèrent DAR EN-NIYABA avec à sa tête
le NAYB, représentant du Sultan. DAR EN-NIYABA deviendra
en fait, le véritable ministère des affaires
étrangères.
Le corps des représentants étrangers obtiendra
confirmation officielle en 1792 lorsqu'il fut accepté
comme assemblée administrative chargée de veiller
aux conditions sanitaires du pays. Tanger vit naître
le Conseil de Santé, la Commission d'hygiène
et de voirie.
Devant la faiblesse manifeste du Makhzen et malgré
ses protestations, ce corps étranger étend d'année
en année ses attributions bénéficiant
même de certaines recettes et taxes et s'apparente en
fait à un véritable conseil municipal exerçant
l'autorité effective, outre qu'il revêtait le
caractère spécifique d'un vrai corps représentatif
étranger.
L'acte d'Algésiras consacre ces faits dans ses dispositions
et toute une série d'institutions internationales sont
mises en place pour régir les activités de la
ville.
La position stratégique sur le Détroit en face
de Gibraltar, la convergence et surtout la divergence des
intérêts tant politiques qu'économiques
des puissances étrangères, ont fait de Tanger
un enjeu politique, économique et commercial ont abouti
à l'internationalisation de la ville.
Les conventions passées entre les puissances étrangères
relatives au Maroc réservent à Tanger des dispositions
spéciales qui ont consacré sa neutralité,
le caractère spécial que lui confère
la présence d'un corps diplomatique et ses institutions
municipales et sanitaires. Ces dispositions ont été
confirmées par le traité du protectorat français
signé à Fès 30 Mars 1912 et l'accord
franco-espagnol de novembre 1912.
Pratiquement, il s'agit de la création d'un "
Petit Etat " dans un Etat au profit des puissances étrangères
et de leurs ressortissants.
2 / LA FONCTION
MARITIME
Le
rôle diplomatique de Tanger ne doit pas faire oublier
ses fonctions portuaires et notamment commerciales. Les archives
du Makhzen, ainsi que celles détenues encore par certains
dignitaires du Royaume ayant occupé des postes de responsabilité
à Tanger, ne permettent pas pour l'instant de présenter
une étude exhaustive à ce sujet. Toutefois,
le fichier international des navires permet d'esquisser ce
que fut le rôle maritime de Tanger au cours des deux
derniers siècles.
En effet, le port de Tanger répondait à trois
fonctions différentes :
-
Port
de commerce, d'escale et de refuge pour les navires de commerce
et de guerre
-
Port
pour la réception et la diffusion des nouvelles par
le transport du courrier d'Europe et du Moyen Orient
-
A
ce sujet, il y a lieu de relever que la quasi totalité
des pèlerins marocains embarquaient de Tanger vers
Alexandrie, port de débarquement, via la Valette.
Cette activité pour l'accomplissement de l'obligation
religieuse, a eu comme conséquences:
-
Le renforcement
des échanges commerciaux et culturels avec le Moyen
Orient (la plupart des Oulémas séjournaient
à AI Azhar)
-
La prévention
des épidémies.
Par ailleurs, les liaisons avec Alexandrie via Malte (La Valette),
au départ des ports Britanniques, ainsi que les liaisons
avec Marseille, Cadix, Lisbonne, Gênes, Livourne, Gibraltar,
deviennent fréquentes.
Par ces liaisons Tanger se trouve rapprochée des grands
circuits commerciaux (de l'Atlantique Nord-Ouest, et de la
méditerranée occidentale).
Tanger, devient donc port de commerce alors que les véritables
ports de Fès étaient Larache et surtout Tétouan.
A ce sujet le consul de France constate qu'il voit "
affluer ... une foule de négociants spéculateurs
tant de France que des autres pays tous avides d'affaires
" .
Tous ces facteurs ont fait que Tanger a concurrencé
avant de le remplacer le port de Tétouan et de devancer
ceux de Larache et d'Essaouira.
Parallèlement à son statut diplomatique, Tanger
s'est ouverte au grand commerce. Ses activités l'avaient
fait passer du port régional à celui du port
national et sa spécificité s'était donc
affirmée par rapport aux autres ports maritimes du
Royaume.
Tanger, foyer
d'information
Par ailleurs,
Tanger devint la place marocaine le mieux informée
des événements méditerranéens.
C'est essentiellement ce rôle de foyer d'informations
qui lui valut à l'aube du 20ème siècle
le développement de son mouvement maritime.
La place de Tanger, grâce à l'abondance des nouvelles
qu'elle reçoit et qu'elle est seule au Maroc à
recevoir, devint le centre du commerce intérieur maritime
et présenta, à l'aube du 20ème siècle,
aux yeux des puissances étrangères un caractère
spécial qui imposa qu'on la traitât autrement
que le reste du Royaume.
Tanger, la ville de Ibn Batouta, a été au long
de son histoire millénaire une terre convoitée
par les Phéniciens, Romains, Portugais, Anglais, et
surtout par les Espagnols bien avant son internationalisation.Une
terre d'accueil pour les espagnols fuyant les atrocités
de la guerre, pour les italiens unionistes et à leur
tête le Général Garibaldi, pour les français
échappés de Gibraltar lors du blocus imposé
par Napoléon à l'Angleterre.
Une terre d'accueil pour le fondateur de la première
dynastie marocaine IDRISS Ier qui y séjourna plus de
deux ans propageant l'islam et la langue arabe dans toute
cette partie du nord marocain ; pour les Sultans Moulay Abdelaziz
et Moulay Hafid qu'ils l'ont choisie comme résidence,
pour les dignitaires du Royaume tel le ministre EL MENEBHI,
pour les Oulémas : SNOUSSI, BEN SADDIK, SKIREDJ, LOUKACH
et GUENNOUN... pour ne citer que ceux là, pour les
leaders du mouvement nationaliste qui y ont trouvé
adhésion et soutien.
Ses habitants ont été imprégnés,
au cours des siècles, de civilisations et de cultures
différentes. Ce pluralisme et cette diversité
- dans le cadre de l'unité nationale - sont des facteurs
qui contribuent à l'enrichissement de l'identité
nationale.
Si Moulay Ismail a libéré Tanger (1684) et exhorta
son gouverneur le célèbre caïd Ahmed Temsamani
El H'mami à procéder à sa restauration
et à son repeuplement, Mohammed II porta son choix
sur Tanger pour y installer le corps diplomatique, Hassan
Ier a décidé de son extension sur le plateau
du Marshan (1889), Mohammed V l'a choisie pour y prononcer
son discours du 10 avril 1947 pour affirmer son identité
et son appartenance et réclamer à haute voix,
les aspirations du peuple. Hassan II projeta d'en faire sa
capitale d'été, Mohammed VI y reçoit
les chefs d'Etat et de gouvernement, accrédite les
ambassadeurs et décide de la réalisation d'un
complexe de grande envergure sur le détroit de Gibraltar
qui vise principalement à affirmer la dimension méditerranéenne
du pays.
Tanger ne peut se nourrir de ses nostalgies diplomatiques
et maritimes bien qu'elles aient marqué sa personnalité
et généré ses spécificités
et faire oublier à Tanger et sa région "
le mirage de l'opulence éphémère de la
période internationale sans occulter son passé
". II y est impérieux de rénover en se
projetant sur l'avenir tout en tirant les enseignements du
passé. Certes, Tanger a des acquis historiques culturels
civilisationnels qui constituent un patrimoine mondial dont
la préservation s'avère de plus en plus nécessaire.Certains
Etats, à la découverte d'un signe d'une simple
lettre d'alphabet dont appel au concours de l'UNESCO.
Notre ville regorge de vestiges millénaires encore
très peu exploités, ce qui a fait dire à
certains auteurs que l'histoire de Tanger est encore mal connue.A
ce sujet je me permets de suggérer dans le cadre des
échanges culturels et de partenariats de jumelage d'uvrer
en collaboration et avec l'aide de toutes les bonnes volontés
pour la récupération des archives de Tanger
conservées à Tétouan, Rabat, Washington,
Nantes... Pour ce faire, il y a lieu au préalable de
concevoir et de préparer les infrastructures nécessaires.
Par ailleurs, je lance un appel à toutes les familles
ayant occupé des postes de responsabilité à
Tanger pour encourager cette initiative par l'apport des documents
qu'elles détiennent.
Retour
au menu des séminaires
|