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AL BOUGHAZ

SEMINAIRE 2003

"LE PATRIMOINE ARCHITECTURAL DE TANGER"
Organisé par l'Association AL BOUGHAZ

En collaboration avec l'INSTITUT FRANÇAIS DE TANGER-TETOUAN

REHABILITATION DES TISSUS ANCIENS A L'ÉPOQUE DE LA
MONDIALISATION :

OPPORTUNITÉS
ET
CONTRAINTES


Marcello BALBO
Universitaire, Venise


1. La médina et la ville

La question de la réhabilitation et de la sauvegarde des tissus anciens est devenue depuis plusieurs années un des axes porteurs du débat sur la ville. Ouverte initialement dans les pays européens, elle a intéressé très rapidement d'autres pays, en particulier ceux aux fortes traditions urbaines où, par conséquent, il existe un patrimoine architectural, historique et culturel important. Pour cela la réhabilitation de la "ville historique" est souvent abordée sous l'optique de la sauvegarde et de la réhabilitation du patrimoine, et du patrimoine bâti en particulier, ce qui risque de laisser de côté les autres dimensions du problème, notamment le social et l'économique, qui par contre sont autant sinon plus importantes que celle physique et spatiale.
Le Maroc et nombre de ses médinas ont fait l'objet de multiples études et réflexions aussi bien qui de propositions d'intervention, bien que la plupart d'elles n'aient pas obtenu les résultats escomptés pour des raisons qui relèvent bien sûr des limités des moyens financiers dont disposent les pouvoirs publics, des capacités techniques insuffisantes et d'un cadre juridique mal adapté aux objectifs de la sauvegarde. Toutefois, il faut se demander si ces raisons, tout à fait réelles, sont suffisantes à expliquer l'insatisfaisant état d'avancement des projets de réhabilitation, ou bien, s'il ne faut pas s'interroger sur le fait que peut-être un des problèmes est que d'autres aspects de la question n'ont pas été suffisamment abordés.
Tout au long de ces dernières décennies le Maroc a connu une croissance urbaine extrêmement accélérée qui a produit de profonds changements sur la structure urbaine du pays, où une série de centres urbains ont pris un essor tel à les situer désormais à côté des centres traditionnels, mais surtout sur l'organisation de l'espace des villes mêmes, que les extensions nouvelles ont profondément modifié. De fait, la forte urbanisation a souvent changé la nature des relations entre centre et périphérie, avec l'apparition d'une multiplicité de "centres" , "sous-centres" ou "centralités" urbaines. Du coup le rôle du "centre" ancien, de la médina mais aussi de la ville du début du XX siècle, n'est plus le même. il serait peut être bien de se demander si la "centralité" de ces centres existe encore, et si elle existe analyser en quoi consiste-t-elle. Face à un processus qui a vu s'urbaniser en peu de temps des centaines de milliers d'habitants, devenus tous des citadins de plein droit quoique l'on puisse penser, avec leurs valeurs, leurs priorités, leurs espaces de référence, non seulement l'organisation de l'espace de la ville a inévitablement changé, mais aussi les modes d'appropriation, les systèmes de relation et la hiérarchie entre les espaces de la ville.
La réhabilitation de la médina de Tanger, comme de toute autre médina ou "tissu urbain ancien" ne peut que partir du constat que la médina est une partie importante de la ville, mais elle n'en est qu'une partie, par ailleurs en perte de vitesse par rapport à la nouvelle ville qui s'est construite récemment et qui ne cesse de se construire.

2. L'impact de la mondialisation

La conséquence de ce simple constat est qu'on ne peut pas aborder le thème de la médina et de sa réhabilitation et revitalisation sans la contextualiser à l'intérieur de la ville tout entière et de sa dynamique de croissance et de transformation. De même que toute intervention de sauvegarde ou de réhabilitation du patrimoine bâti ne peut se baser que sur un projet général pour la médina. N'importe quel programme visant sa revitalisation doit se fonder sur une idée du rôle qu'elle va jouer par rapport à la ville et à ses nouvelles extensions.
II s'agit d'un exercice non simple, mais incontournable si l'on ne veut pas faire ce que j'appellerais de l'urbanisme "volontariste", un urbanisme qui se fait à partir d'une idée de la ville telle que l'on aimerait (les professionnels plus que les politiciens), mais qui souvent n'a rien à voir avec la ville à qui on a vraiment affaire. Le résultat étant, dans la plupart des cas, de belles propositions et des projets bien dessinés mais qui ont peu de possibilités d'être réalisés, si ce n'est pas pour le hasard de tomber sur des conditions contingentes favorables.
La médina et la ville donc, ou mieux la médina dans la ville, puisqu'elle se trouve entourée par et même englobée par le reste de la ville, par rapport à laquelle elle ne peut avoir qu'un rôle, bien que limité, particulier grâce justement à son caractère de patrimoine culturel.
L'exigence d'adopter une perspective à l'échelle urbaine est d'autant plus urgente à l'époque actuelle, caractérisée par le phénomène de la mondialisation: avant tout des flux financiers et des relations économiques, mais aussi de l'information et des modèles culturels.
Mondialisation des circuits financiers, libéralisation et compétition peuvent avoir des effets extrêmement positifs sur les économies nationales et locales, puisqu'elle obligent à améliorer la qualité des produits et par là augmentent leur valeur ajoutée, incitent à la compétitivité et donc à la productivité, et peut ouvrir les marchés internationaux aux produits locaux. Au niveau de l'urbanisation et des villes, la mondialisation a introduit un scénario profondément différent par rapport au passé. La mondialisation semblerait un phénomène sinon aspatial, au moins largement détaché de l'espace, puisqu'elle est le résultat des nouvelles technologies de l'information permettant de mettre en connexion en temps réel lieux et systèmes économiques géographiquement déconnectés.
Toutefois ces relations en temps réel qui se font dans l'espace virtuel, se concrétisent dans des territoires et espaces réels, avec des populations et des activités tout aussi réelles qui, dans un monde de plus en plus urbanisé, sont ceux des villes. C'est ainsi que la mondialisation produit, ou accentue, la polarisation existant à l'intérieur des villes : d'une part les secteurs de population et leurs lieux de résidence et de travail, intégrés dans les flux de l'économie globale ; de l'autre, le reste de la ville, les quartiers irréguliers mais de manière plus générale, les quartiers regroupant activités et populations "non utiles" à la mondialisation. II n'est peut être pas inutile de signaler que la privatisation des services urbains, qui accompagne presque inévitablement l''"ouverture" économique et qui bien sûr a intéressé aussi bien la ville de Tanger, avec l'augmentation des tarifs qui normalement s'ensuivent, peut approfondir cette polarisation de l'espace urbain et l'exclusion des populations à bas revenu.

3. Le gouvernement local et la ville

Parallèlement au phénomène de la mondialisation, on assiste à une diffusion massive des politiques de décentralisation, curieusement adoptées presque dans tous les pays dans le courant des dix ou quinze dernières années. Cette presque "simultanéité" dans l'adoption d'une même stratégie, à quelque variante près, dans des pays aussi différents que le Maroc et le Brésil, l'Afrique du Sud ou la Thaïlande, montre bien qu'il ne s'agit nullement d'un choix contingent mais de la seule alternative envisageable à l'heure actuelle. De fait, la décentralisation n'est que l'inévitable stratégie d'accompagnement à la mondialisation et aux effets de la libéralisation et de la privatisation sur les déséquilibres qui se présentent à l'intérieur des villes, face à une action sociale de l'Etat de plus en plus réduite.
Dans ce contexte la responsabilité de la politique urbaine revient aux Municipalités, qui se trouvent sollicitées à intervenir sur toute la gamme de questions que la ville pose aujourd'hui : la réalisation des infrastructures qui font défaut à cause de la croissance accélérée aussi bien que du manque d'entretien, la mise en place de services pour que la ville soit "productive" mais aussi de ceux nécessaires à répondre aux besoins de la population plus démunie, la réhabilitation du patrimoine, la sauvegarde de l'environnement. Bref, les pouvoirs locaux se trouvent de plus en plus confrontés à une "demande de ville" qui surgit d'une société de plus en plus urbanisée et urbaine. Une "demande de ville", il vaut bien le souligner, qui s'articule non seulement sur plusieurs volets, mais qui se présente de manière contradictoire sinon conflictuelle, suivant les intérêts différents qui l'expriment et par rapport à laquelle, dans la plus part des cas, le gouvernement local n'a ni les moyens financiers ni les capacités de gestion pour y répondre.

4. Un "projet de ville"

II est donc assez évident que la question de la réhabilitation des tissus urbains anciens, donc de la médina de Tanger, doit se situer à l'intérieur du système de priorités qui intéresse la croissance et les transformations de la ville toute entière.
Toutefois, reconnaître la nécessité d'une perspective générale n'est que le premier pas d'un chemin plus long et complexe encore, qui doit conduire à l'élaboration d'un véritable "projet de ville", c'est à dire d'une vision à long terme de ce que la ville doit et peut devenir, à partir des capacités et des ressources dont elle dispose. II s'agit d'une évolution ultérieure, encore plus difficile et délicate, puisque élaborer un "projet de ville" signifie proposer une idée de la "société urbaine" vers laquelle on veut aller.
II est évident que dans une perspective de ce type on ne fait plus référence exclusivement aux questions liées à la sauvegarde et à la réhabilitation du patrimoine, mais on passe à une toute autre échelle, spatiale mais surtout conceptuelle, par rapport à laquelle l'urbanisme et l'architecture ne deviennent qu'une composante, même pas des plus importantes.
Pour élaborer un "projet de ville" on ne dispose d'aucune méthode préétablie ni d'aucun "manuel" à consulter, comme c'est le cas pour les plans et les projets d'urbanisme ou de restauration. Bien au contraire, un "projet de ville" ne peut être établi que, primo, à partir des spécificités locales, des opportunités, des potentialités et des contraintes qui caractérisent la société locale ; secundo, à travers un travail d'élaboration collective impliquant la participation de tous les acteurs de la société urbaine. En effet, un "projet de ville" ne peut être tel que s'il est partagé par les (la majorité des) différents secteurs de la population urbaine et les différents et parfois divergents intérêts qui opèrent à l'intérieur de la ville.
Du moment que les autorités locales, à Tanger comme ailleurs, disposent de ressources et de capacités insuffisantes à gérer à elles seules le devenir de la ville, seulement s'il est approprié par la société urbaine un "projet de ville" aura la possibilité (bien sur pas la garantie) d'être mis en place.
Un "projet de ville" partagé et approprié est d'autant plus nécessaire dans le contexte de la mondialisation et de la compétition entre villes qu'elle entraîne. II est vrai que Tanger peut compter sur une localisation assez exceptionnelle, mais il faut être conscient du fait que cela n'est nullement suffisant pour capter les investissements et les flux économiques de la mondialisation. Pour être efficacement compétitive, comme toute autre ville, Tanger doit savoir se situer par rapport à la hiérarchie urbaine nationale et internationale, en définissant le type de rôle ou de rôles (bien que poursuivre une multiplicité de rôles peut s'avérer difficile et coûteux) qu'elle veut et peut remplir, pour adopter les mesures nécessaires à réaliser les objectifs établis.
II est bien de souligner qu'un "projet de ville" ne se termine jamais, au contraire il est un travail continu, qui se modifie en s'adaptant aux conditions nouvelles qui peuvent se créer et que le "projet" lui-même introduit dans le contexte local. La réhabilitation de la médina ne peut être qu'un élément, important mais seulement un élément de ce "projet de ville".