CONFLUENCES MUSICALES
Les articles et autres textes
Núba al-Máya
Omar Metioui
La Núba al-Máya est classée troisième dans Kunnásh al-Há'ik, compilation de poésie des onze Núbas marocaines. Les onze Núbas constituent le patrimoine musical andalou-maghrébin, connu au Maroc sous le nom de al-ála. Al-Ála signifie instrument et se juxtapose au samá', terme qui désigne la musique vocale des záwya-s ou confréries religieuses. Au Maroc nous connaissons deux répertoires de musique classique ou savante :
1/as-Samá':
Littéralement signifie, audition. En effet c'est l'audition
d'un concert de musique spirituelle ou mystique. Généralement
ce répertoire se base uniquement sur la voix et ne se sert
dans, la plupart des confréries du Maroc, d'aucun instrument
musical.
2/al-Ála :
Al-Ála, constitue le répertoire classique des cinquante
cinq (11 Núba-s x 5 Mízán-s
= 55 ). Le mot mízán possède un
double sens. Il désigne d'une part, l'un des cinq rythmes de
la núba: Bsít, Qá'im
Wa-Nisf, Btáyhí, Darj
et Quddám et d'autre part, une suite de san'a-s
(chansons). Cette suite est basée sur l'unicité
du rythme qui passe par plusieurs mouvements durant son exécution.
Actuellement, al-ála est considérée
comme le répertoire profane de la musique classique du Maroc
et se chante aussi bien dans les fêtes qui réunissent
les familles : mariages, naissances, circoncisions ... que dans les
grandes représentations au niveau national et international.
La núba al-Máya, constitue l'une des quatre
racines de l'arbre des modes. Ses dérivés sont : Raçd,
Raml l-Máya, l-Hsín,
Inqiláb r-Ramal et Síka. Son élément
est l'air et sa station de l'année est le printemps. Selon
al-Há'ik (1800) le son principal de son mode est le
matlat ou troisième corde du 'Úd
qui s'appelle al-Máya. Actuellement on utilise
comme tonique de ce mode la note Do. Le mode Máya
se distingue des autres modes de Do par l'apparition fréquente
de la note sensible Si, caractéristique du mode Síka.
C'est un tab' qui suscite l'humeur du sang, augmente
sa force et ses influences. Aussi, il contrarie l'humeur de l'atrabilis,
l'atténue et la dulcifie. Il incite son auditeur au sommeil.
Les musiciens surnomment ce tab', la mer.
La poésie
La thématique de cette núba traite de
la description très détaillée de la période
de la journée qui s'étale de l'après-midi ('asr)
jusqu'au coucher du soleil (maghrib). On pourrait se
surprendre par la précision avec laquelle sont décrits
les phénomènes naturels du coucher du soleil, les diverses
couleurs et parfums des jardins qui subissent un bain de lumière
tempérée, les rendez-vous avec la bien aimée
au crépuscule, la nostalgie due à l'éloignement
et à la séparation ainsi que par l'éternelle
position du censeur (al-'adhú, ar-Raqíb)
... etc.
Lorsque le soleil pâlit et qu'arrive le moment de la séparation,
Chante le mode de "al-Máya", oh frère de l'extase
!
Dépêche-toi à boire les verres et réjouis
ton regard
sur l'horizon doré de l'après-midi
Commentaires sur le répertoire
I/ Quddám
al-Máya
Ce mízán constitue la cinquième phase rythmique de núba al-Máya. C'est un rythme simple à 3/4. La búgya constitue une ouverture non mesurée dont le rôle consiste à révéler l'empreinte du mode al-máya (tab') dans lequel cette partie de la núba est exécutée. L'école de Fès est réputée pour la longueur et la lenteur de ces préludes qui dépeignent l'identité de chaque núba. Cependant, la búgya de cet enregistrement est plus courte que d'habitude. La partie rythmique intervient dès la deuxième pièce en articulant les différents éléments constitutifs du mízán quddám. La première note de cette twíshya (SOL) constitue la dominante de ce mode qui se base sur le DO comme note fondamentale. La première san'a de ce mízán est : al-'ashiyya ilá l-guríbi tamílu (le soleil tend vers le crépuscule). Il faut bien suivre le jeu du tár en contretemps avec le chant durant la plus grande partie de la san'a. Cette méthode peu habituelle chez la plupart des trrár-s (joueurs de tár), permet de créer une dynamique constructive entre le rythme et la monodie. Durant la réponse instrumentale, le tár va plus appuyer le troisième temps du rythme (3/4). La variation de sons produite grâce à la grande technique de maître t-Twízí est captivante et incite l'auditeur à rester alerte et actif dans l'écoute. La san'a suivante contient du shugl ou tarátín (vocalises). Ce sont des phrases entières chantées sur des syllabes abstraites qui remplacent la poésie et s'intègrent au corps de la san'a. Plus ces vocalises sont longues plus la san'a est difficile à mémoriser. Ce genre de composition reste l'une des grandes particularités de l'école andalouse qu'on ne retrouve point dans la musique traditionnelle orientale.
Qalbí l-Kaíb :
Triste,
mon cur résiste,
Et mon corps devient comme une silhouette
Oh ! mes chers amis
Retrouverai-je le temps de l'union !
A l'instar des paroles (muwashshah), la mélodie
commence sur un air triste et nostalgique distinctif de cette núba.
Le muwsashshah suivant connaîtra une légère
accélération de rythme et nous conduira au tajlíl.
Le tajlíl est une san'a que l'on
retrouve dans le quddám de toutes les núba-s.
Le poème qu'il utilise appartient en général
au mètre basít. La mélodie est
simple, agréable et ne contient pas de shugl
(vocalises). Intercalé entre les san'a-s longues
et difficiles, il sert à reposer, aussi bien le musicien que
l'auditeur, de l'effort d'attention fourni. Les paroles de la brwála
se basent sur le dialecte marocain alors que la muwashshah
utilise l'arabe classique et le zajal le dialecte andalou.
Etant donné le mode de transmission oral de cette poésie,
dans beaucoup de cas la distinction entre ces différents genres
prête à confusion. Après la san'a
le chanteur aborde une pièce magistrale qui est le inshád.
C'est un chant libre sans rythme mais qui est assujeti à une
trame mélodique établie par la tradition. Par ailleurs,
dans cette partie le soliste garde une petite marge de liberté
qui lui donne la possibilité d'improviser et de démontrer
les capacités techniques et esthétiques dont il dispose.
Des san'a-s, l'orchestre va interpréter le mouvement
mhzúz (moderato) du mízán
(phase rythmique). Avec la san'a 16 le rythme change
en 6/8 et on entame la dernière partie du mízán
qu'on désigne par l'insiráf. Le développement
de cette partie dont le rythme ne va cesser de croître, (crescendo)
conduit à la dernière san'a ou qufl.
Nous déplorons dans cet enregistrement la coupure qui se fait
(feed out) avant le final précité. Ceci est dû
à la détérioration irréversible de la
bande. Une fois encore, nous renouvelons notre insistance sur les
efforts qui doivent être fournis pour sauvegarder ces précieux
témoignages de ces hommes qui ont voué leur vie au service
d'une tradition orale qu'ils nous ont transmis avec beaucoup d'amour.
II/ Inshád tab' r-Rásd, Muhammed Jsásí
Cet inshád, enregistré à un âge avancé par l'incontestable maître Jsásí, constitue une preuve irréfutable de l'immense talent dont jouissait ce personnage qui a dominé son époque et qui constitue une authentique école de chant qui devrait inspirer tous les jeunes initiés.
III/ Muwwál
tab' Raml l-Máya, Muhammed l-Jsásí
Peu de munshid-s (chanteurs) peuvent dominer conjointement
les deux genres de chant libre inshád et muwwál
comme le fait Maître Jsásí. Au Maroc, les jeunes
chanteurs traditionnels commencent à imiter aveuglément
l'Orient au détriment de leur propre culture. Les tubú'
(modes) maghrébins sont le fruit d'un métissage entre
des traditions musicales arabes, afro-berbères et Occidentales
(Espagne avant la conquête musulmane en 711) et fixent un moment
unique dans l'histoire de l'humanité. Ils constituent une "
empreinte digitale " indélébile pour notre patrimoine
culturel et une mémoire collective andalou-maghrébine
vivante et d'une valeur inestimable. Etant donné l'ampleur
du courant d'influences Orientales et Occidentales qui traversent
actuellement le Maghreb, nous avons peur que nos tubú'
soient dilués, contaminés et prennent une forme hybride
qui leur ferait perdre leur originalité et leur force.